Citation de Pablo Neruda

samedi 21 mars 2009

MAXIMILIANO HERNÁNDEZ MARTÍNEZ


EN SALVADOR, LA MUERTE

Augustín Farabundo Martí Rodríguez (1893-1932), 
photo lors d'une visite au Nicaragua en 1929.

La sangre de los muertos campesinos
no se ha secado, no la seca el tiempo,
no la borra la lluvia en los caminos.
Quince mil fueron los ametrallados.
Martínez se llamaba el asesino.
Desde entonces tomó sabor de sangre
en Salvador la tierra, el pan y el vino.



Pablo Neruda, Canción de gesta, 1960

AU SALVADOR, LA MORT

Farabundo Marti par Spartacous Cacao

Ñ
Au Salvador rôde encore la mort
Le sang des paysans disparus
n'a pas séché, le temps ne le sèche pas,
la pluie ne l’efface pas sur les chemins.
les mitraillés furent au nombre de quinze mille.
Martínez s’appelait l'assassin.
Depuis ce temps-là prit un goût de sang
au Salvador la terre, le pain et le vin.


Ñ

Pablo Neruda dans Canción de gesta, 1960, Traduction de M C


samedi 14 mars 2009

LA POÉSIE DE PABLO NE

La comédienne Lou Wenzel
Les poèmes de Neruda résonnent comme autant de cris d'un homme sombrant dans la folie amoureuse. Une formidable et jeune comédienne, Lou Wenzel, l'incarne. La musique, le tango de Piazzolla, lui répond, s'unit intimement au texte. Nous sommes emmenés dans un étrange et subtil voyage dans les méandres de la passion amoureuse entre Chili, Argentine et France.

La voix rocailleuse, chantante, de Pablo Neruda s'élève dans l'espace éclairé par une nuit lointaine. Le rendez-vous amoureux, déchirant, peut commencer.

Une jeune femme raconte la vie amoureuse de Pablo Neruda à travers les récits des six femmes qui marquèrent la vie du poète. Quatre clarinettistes l'accompagnent. La jeune femme se lève de sa chaise et l'amour est là, présent, bien présent... Elle dit les « Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée ». L'amour qui colle à la peau déchire les entrailles, met le feu à l'âme, affole les nuits. Nuit de passion, de certitudes troublées, de doutes qui empoisonnent... Les musiques de Piazzolla et de Palacio la nourrissent.

Prix des places de 15 à 24 €. Réservations au 05 59 59 07 27.

jeudi 12 mars 2009

FRANCE FLEURIE REVIENT !

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CHARLES D'ORLÉANS REÇOIT L'HOMMAGE D'UN VASSAL
F
rance, jadis on te soulait (*) nommer
En tous pays, le trésor de noblesse
Par un chacun pouvoit en toi trouver
Bonté, bonheur, loyauté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, proesse.
Tous estrangiers amoient te suir (**).
Et maintenant voy dont j'ay desplaisance
.

(*) Avait l'habitude

(**) Suivre

Cest ce poème de Charles d'Orléans que Neruda choisit pour introduire ses poèmes consacrés à la France dans son livre Las uvas y el viento, (Les grappes et le vent) publié en 1954.

Inséré comme intertexte en français, Neruda garde l'orthographe d’origine de l'ancien français. Neruda lui donne le titre de «France fleurie revient», le titre original du poème étant «La Complainte de France».

La proximité et la complicité de Neruda avec la culture française sont connues. Mais pourquoi inclut-il en particulier ce poème et cet auteur dans son œuvre ? Sûrement pas par érudition.

Une explication peut se trouver dans les vers de son poème «Y sin embargo» («Et cependant») où il se plaint de son expulsion de France pour cause de Guerre Froide. Neruda est, en effet, expulsé de France en août 1952.

En 1949, Neruda était entré en France avec l'identité et le passeport de son ami Miguel Angel Asturias, le grand écrivain guatémaltèque qui obtiendrait le Prix Nobel de littérature en 1967. Le poète avait entrepris le chemin de l'exil, après avoir dénoncé la trahison du président Gabriel González Videla, dans son discours « J'accuse…! » (***) au Sénat chilien.

Pendant ces années-là, le sénateur Neruda - dépossédé de son immunité parlementaire- développait une intense activité politique, diplomatique et littéraire en Europe et en Asie. Il milite dans le Mouvement pour la paix, ainsi que dans la solidarité avec ses camarades prisonniers et poursuivis au Chili.

Il faut se souvenir du contexte international de l’époque : le monde vivait les débuts de la guerre froide et on se trouvait au milieu des guerres coloniales d’Afrique et d'Indochine.

Les ambassades chiliennes en France et en Italie demandaient avec insistance l'expulsion de Neruda. La demande provenait du Président chilien lui-même.

En 1952, l'ordre d'arrestation contre Neruda est révoqué au Chili. Après trois ans et quelques mois d’exil, Neruda rentre à Santiago le 12 août où de grands hommages de bienvenue lui sont rendus.

Avant d’embarquer pour le Chili, Neruda se réunit avec quelques amis venus lui dire au revoir dans un restaurant à Cannes. Pablo Picasso et sa femme Françoise Guillot (mère de Paloma), Paul Eluard et sa femme Dominique, Inés et Carmen Figueroa, le mari de cette dernière, Philip Meyer, et Paul Picasso (fils du peintre et d’Olga Kokhlova) étaient au rendez vous.

Au moment d'embarquer, Neruda fut convoqué par haut-parleur par la police du Port à Cannes. On l’informait officiellement que le gouvernement français le considérait Persona non grata et qu'il était désormais interdit de séjour en territoire Français, même en transit.

Les détails de cette expulsion ont été livrés par l’architecte et cinéaste Alberto Mántaras Montegna à son ami José Miguel Varas, qui les révéla lui-même dans son livre Tal vez nunca. Cronicas Nerudianas (Peut-être jamais. Chroniques nérudiennes.) Editorial Universitaria, 2008. Alberto Mántaras avait, en effet, pris le même bateau que Neruda.

C’est là qu’intervient la référence à Charles d’Orléans dans le poème «Sin embargo» :

ils m'expulsèrent
de presque toutes les choses que j'aime,
et à rien ne servit que je sirvasse
la mémoire de Charles d' 0rléans, en nettoyant
chaque jour sa guitare de deuil,

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Charles d'Orléans prisonnier dans la Tour de Londres

Rappelons que Charles d'Orléans est né à Paris en 1394 et mort à Amboise en 1465. Méconnu du grand public, il a écrit une des œuvres poétiques les plus importantes du moyen âge français. Son poème «La Complainte de France» est un chant patriotique, composé pendant la longue captivité anglaise de l’auteur. Le poète souhaitait évoquer avec douleur les plaies de la patrie et l'éloignement des siens.

À travers l’intertexte, Neruda s’associe à Charles d’Orléans pour parler de l’exil, leur douloureuse expérience commune. Mais Neruda choisit un extrait précis qui pourrait être interprété comme une critique de cette France qui l’expulse, en rupture avec sa tradition de terre d’accueil.

Les valeurs et les vertus ancestrales, le glorieux passé de la France, sont d’un autre temps. La situation de détresse morale dans laquelle se trouve le pays est due, selon le poète, à un châtiment divin, en raison des péchés capitaux dont le « Très chrétien, franc royaume de France » est coupable.

De plus, dans l’extrait ci-dessus, Neruda revendique son lien profond avec la culture française en citant notamment Charles d’Orléans, mais aussi, Rimbaud et Rabelais. Mais la référence à Charles d’Orléans est d’autant plus intéressante qu’il s’agit d’un poète mal connu du peuple français, et qui renvoie à l’histoire de la littérature française d’il y a plus de 5 siècles. Neruda lit, cite et se reconnaît dans un auteur oublié par les propres français.
M.C.



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(***) Paraphrase du titre de l’article rédigé par Émile Zola lors de l'affaire Dreyfus, publié dans le journal L'Aurore du 13 janvier 1898

mercredi 11 mars 2009

LA COMPLAINTE DE FRANCE.

Charles d'Orleans et Marie de Cleves

France, jadis on te souloit nommer,
En tous pays, le tresor de noblesse,
Car ung chascun povoit en toy trouver
Bonté, honneur, loyaulté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, proesse;
Tous estrangiers amoient te suir,
Et maintenant voy, dont j'ay desplaisance,
Qu'il te convient maint grief mal soustenir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Seez tu dont vient ton mal, à vray parler?
Congnois tu point pourquoy es en tristesse?
Conter le vueil, pour vers toy m'acquicter,
Escoutes moy, et tu feras sagesse.
Ton grant ourgueil, glotonnie, peresse,
Convoitise, sans justice tenir,
Et luxure, dont as eu habondance,
Ont pourchacié vers Dieu de te punir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Ne te vueilles pourtant desesperer,
Car Dieu est plain de mercy, à largesse;
Va t'en vers lui sa grace demander,
Car il t'a fait, de ja pieca, promesse;
Mais que faces ton advocat Humblesse,
Que tres joyeux sera de toy guerir;
Entierement metz en lui ta fiance,
Pour toy et tous, voulu en croix mourir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Souviengne toy comment voult ordonner
Que criasses Montjoye, par liesse,
Et, qu'en escu d'azur, deusses porter
Trois fleurs de Lis d'or, et pour hardiesse
Fermer en toy, t'envoya sa haultesse,
L'Auriflamme qui t'a fait seigneurir
Tes ennemis; ne metz en oubliance
Telz dons haultains, dont lui pleut t'enrichir,
Très crestien, franc royaume de France.

En oultre plus, te voulu envoyer
Par un coulomb qui est plain de simplesse,
La unction dont dois tes Roys sacrer,
Afin qu'en eulx dignité plus en cresse;
Et, plus qu'à nul, t'a voulu sa richesse
De reliques et corps sains, departir;
Tout le monde en a la congnoissance,
Soyes certain qu'il ne te veult faillir,
Tres crestien, franc royaume de France.
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Charles d’Orléans prisonnier dans la Tour de Londres v. 1500. Enluminure. Angleterre.

Court de Romme si te fait appeller
Son bras dextre, car souvent de destresse
L'as mise hors, et pour ce approuver,
Les Papes font te seoir, seul, sans presse,
A leur dextre, se droit jamais ne cesse;
Et pour ce, dois fort pleurer et gemir,
Quant tu desplais à Dieu qui tant t'avance
En tous estas, lequel deusses cherir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Quelz champions souloit en toy trouver
Crestienté! Ja ne fault que l'expresse;
Charlemaine, Rolant et Olivier,
En sont tesmoings, pour ce, je m'en delaisse,
Et saint Loys Roy, qui fist la rudesse
Des Sarrasins souvent aneantir,
En son vivant, par travail et vaillance;
Les croniques le monstrent, sans mentir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Pour ce, France, vueilles toy adviser,
Et tost reprens de bien vivre l'adresse;
Tous tes meffaiz metz paine d'amander,
Faisant chanter et dire mainte messe
Pour les ames de ceulx qui ont l'aspresse
De dure mort souffert, pour te servir;
Leurs loyaultez ayes en souvenance,
Riens espargnié n'ont pour toy garantir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Dieu a les braz ouvers pour t'acoler,
Prest d'oublier ta vie pecheresse;
Requier pardon, bien te vendra aidier
Nostre Dame, la tres puissant princesse,
Qui est ton cry, et que tiens pour maistresse;
Les sains aussi te vendront secourir,
Desquelz les corps font en toy demourance.
Ne vueilles plus en ton pechié dormir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Et je, CHARLES DUC D'ORLÉANS, rimer
Voulu ces vers, ou temps de ma jeunesse,
Devant chacun les vueil bien advouer,
Car prisonnier les fis, je le confesse;
Priant à Dieu, qu'avant qu'aye vieillesse,
Le temps de paix partout puist avenir,
Comme de cueur j'en ay la desirance,
Et que voye tous tes maulx brief finir,
Tres crestien, franc royaume de France.

Charles d'Orléans composa pendant sa captivité, un chant patriotique intitulé: La Complainte de France

Charles d'Orléans

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Charles d'Orléans reçoit l'hommage d'un vassal.


Charles d'Orléans, né à Paris le 24 novembre 1394 et mort à Amboise le 5 janvier 1465, duc d'Orléans, est un prince français, connu surtout pour son œuvre poétique réalisée lors de sa longue captivité anglaise. Il est le fils de Louis Ier, duc d'Orléans, frère du roi de France Charles VI, et de Valentine Visconti fille du duc de Milan. Il est né à l'hôtel de Saint-Pol, à Paris.
Le 25 octobre 1415, les troupes françaises sont mises en déroute par l'armée du roi anglais Henri V, lors de la défaite d'Azincourt, dans le contexte de la guerre de Cent Ans. Charles d'Orléans est fait prisonnier et emmené en Angleterre. Sa libération est conditionnée par le paiement d'une rançon. N'ayant trouvé personne pour payer sa rançon, il reste 25 ans en Angleterre, années pendant lesquelles il développe son œuvre.

Les valeurs et les vertus ancêtrales, le glorieux passé de la France, sont d’un autre temps. La situation de détresse morale dans laquelle se trouve la France, est dûe, selon le poète, à un châtiment divin, en raison des péchés capitaux dont la France est coupable.

Les sept péchés capitaux sont, dans la tradition chrétienne, la paresse, l’orgueil, la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l'envie. Charles d’Orléans cite cinq des péchés capitaux « orgueil, glotonnie, paresse,/ Convoitise », « luxure », pour expliquer et fonder son propos. Le discours poétique prend un tournant ironique au dernier vers, où le poète qualifie de « Très chrétien » le royaume de France, alors qu’il vient de dénoncer les maux du pays à l’origine du châtiment divin.

Sais-tu d'où vient ton mal, à vrai parler ?
Connais-tu point pourquoi es en tristesse ?
Conter le veux, pour vers toi m'acquitter,
Ecoute-moi et tu feras sagesse.
Ton grand orgueil, glotonnie, paresse,
Convoitise, sans justice tenir,
Et luxure, dont as eu abondance,
Ont pourchacié vers Dieu de te punir,
Très chrétien, franc royaume de France.
M.C.