Citation de Pablo Neruda

lundi 10 juillet 2017

JEUNE HOMME SEUL

Les jeunes homosexuels et les jeunes filles amoureuses,
et les longues veuves qui souffrent d’insomnies délirantes,
et les jeunes dames fécondées il y a trente heures,
et les chats rauques qui traversent mon jardin de ténèbres,
tel un collier de palpitantes huîtres sexuelles
entourent ma résidence solitaire,
tels des ennemis établis contre mon âme,
tels des conspirateurs en tenue de nuit
qui auraient pour consigne d’échanger de longs baisers épais.

Le radieux été conduit les amoureux
en d’uniformes régiments mélancoliques,
composés de gros et maigres et joyeux et tristes couples :
sous les élégants cocotiers, près de l’océan et de la lune,
il y a une vie constante de pantalons et de jupes,
une rumeur de bas de soie caressés,
et des seins féminins qui brillent comme des yeux.

Le petit employé, après un lourd,
après un long ennui hebdomadaire, et les romans lus la nuit au lit
a définitivement séduit sa voisine,
et l’emmène dans les misérables cinémas
où les héros sont des poulains et des princesses passionnées,
et il caresse ses jambes pleines de duvet
avec ses mains humides, ardentes et qui sentent la cigarette.

Les soirées du séducteur et les nuits des époux
se fondent comme deux draps qui m’ensevelissent,
et les heures après le déjeuner où les jeunes étudiants
et les jeunes étudiantes, et les prêtres se masturbent,
et les animaux forniquent sans détours,
et les abeilles sentent le sang, et les mouches colériques bourdonnent,
et les cousins jouent étrangement avec leurs cousines,
et les médecins regardent avec fureur le mari de leur jeune patiente,
et les heures du matin où le professeur, comme par mégarde,
accomplit son devoir conjugal et déjeune,
et plus encore, les adultères, qui s’aiment d’un véritable amour
sur des lits hauts et longs comme des navires :
sûrement, éternellement m’entoure
cette grande forêt respiratoire et enchevêtrée
de grandes fleurs comme des bouches et des dentitions
et de noires racines en forme d’ongles et de chaussures.


Pablo Neruda (1904-1973) – Résidence sur la terre (Residencia en la tierra, 1935) – Traduction de Guy Suarès

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